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samedi 5 mai 2018

Jean Galotti, Tourisme interastral ou le voyage de demain (1928)

Nous poursuivons notre exploration du magazine Vu sous l'angle de l'anticipation et de la science fiction. Pour retrouver tous les articles de cette série, cliquez ICI
Jean Galotti (qui a publié dans les numéros précédents une "guerre future") propose dans le n° 26 (12 septembre 1928) un article de prospective concernant le voyage dans l'espace. Il comporte plusieurs illustrations tout à fait science-fictionnelles.





Tourisme interastral ou le voyage de demain

L'Homme n'est pas plutôt arrivé quelque part qu'il désire aller ailleurs. Rien de plus conforme à sa nature. Gassendi prétendait même qu seul ce tracassin lui a fait croire à l'infini ; à quoi Descartes répondait que, précisément, il porte ainsi en lui la preuve que l'infini existe.
De fait, à peine nos pères eurent-ils achevé d'explorer la sphère terrestre qu'ils se mirent en tête de la quitter. Ils inventèrent les ballons qui leur permettaient de s'élever au-dessus de leurs contemporains en agitant un chapeau et qui les déposaient, ivres d'orgueil et d'émotions, sur quelque cheminée ou dans les branches de quelque chêne.
Aujourd'hui, nous avons l'avion. Demain, ce sera l'auto-fusée.
On connaît cette nouvelle machine : basée sur le principe du recul des fusils, c'est, en somme, une batterie de petites pièces à feu disposée sur roues. Quand on tire, l'appareil recule. Il s'agit de tirer sans cesse, de manière à accélérer cette retraite d'écrevisse. Les derniers essais effectués ont permis d'obtenir ainsi une course de 400 kilomètres à l'heure, réalisée, il faut le dire, durant seulement quelques secondes, au bout desquelles tout a sauté, y compris l'unique passager, qui était un chat.

Ce chat serait aujourd'hui bien empêché de nous faire part de ses impressions. Mais il est fort probable qu'elles seraient défavorables à notre façon moderne de comprendre l'application des sciences ; Il nous dirait peut-être que la plupart du temps nous nous croyons à tort des inventeurs alors que nous ne faisons qu'appliquer des découvertes que les anciens avaient faites avant nous, mais dont ils n'usaient que pour se divertir. Les Chinois fabriquaient la poudre pour faire des feux d'artifice. Le Grec Héron d'Alexandrie, connaissant le principe du mouvement par réaction, imagina l'éolipyle, une boule creuse pleine d'eau qui, lorsqu'on la chauffe, dégage de la vapeur et se met à tourner. C'étaient là des jouets sans danger. Nous ne nous en contentons plus. Il serait d'ailleurs inexact de dire que, seul, le désir de nous tuer ou de tuer nos contemporains stimule notre ingéniosité. Ce qui nous préoccupe, c'est avant tout d'aller plus vite, en même temps que d'aller plus loin.
La propulsion directe par explosions permet, nous venons de le voir, d'obtenir des vitesses que l'on pu encore atteindre avec les moteurs à essence. Mais c'est là son moindre avantage. Ce qui en fait une méthode inappréciable c'est que, seule, elle autorise l'espoir de quitter la Terre un beau jour, pour aller visiter les astres. Espoir lointain, de toutes façons, mais qui, désormais, a peut-être cessé d'être absurde. Le ballon et l'avion sont de pesants engins qui ont besoin, pour s'élever, du soutien de l'atmosphère, autant que le poisson a besoin de l'eau pour nager. Seule, l'auto-fusée peut progresser dans le vide.
Sans doute, il y a aussi l'obus imaginaire qui, pour peu qu'il s'élance à plus de onze mille mètres à la seconde, vaincrait la pesanteur et disparaîtrait définitivement. Mais ce serait en dépit des capitons prévus à l'intérieur par la sollicitude de cet excellent Jules Verne, un véhicule inconfortable, où les Terriens, peu entraînés aux chocs, seraient mis en œufs sur le plat, dès le départ.

Donc on cherche déjà un système plus pratique. Et voici ce qu'à ce sujet nous dit notre savant confrère E.H. Weiss :
Un aviateur, doublé d'un savant astronome, Max Vallier, étudie depuis plusieurs années le problème du véhicle fusée, calculé d'ailleurs en France d'une façon si brillante par Esnault-Pelterie. Max Vallier a conçu une coque d'avion étanche, où pilote et passagers vivent dans une atmosphère artificielle. A l'extrémité de chaque aile, une sorte de gros cigare contient des explosifs et les gaz produits se dégagent par les tubes, à l'arrière, pour que la réaction agisse comme dans la voiture expérimentée. Le calcul montre que la vitesse réalisée est énorme dès le début, l'avion monte presque verticalement. Ni moteur, ni passagers ne sont tributaires de la raréfaction de l'air et nous arrivons à 100 kilomètres de hauteur, après une demi-heure de route.
« Il règne en ces régions un froid intense, un vide comme sous la cloche d'une machine pneumatique, mais la coque étanche permet aux passagers de respirer et de vivre normalement. Par contre, la résistance de l'air ne s'oppose plus à la progression du véhicule, l'attraction terrestre est pour ainsi dire nulle, de sorte qu'en se maintenant à cette hauteur, on peut, sans grande dépense d'énergie, faire la traversée aérienne de l'Atlantique en trois heures.
« Tout cela est très réalisable et permet de songer plus tard au voyage dans la Lune ou dans Mars... »

Ainsi, quand nous irons dans la Lune, ce sera dans la carlingue hermétique d'un avion-fusée.
Il est à présumer, en effet, que nous commencerons nos voyages célestes par cette planète au visage pâle dont l'expression narquoise a, de tout temps, stimulé nos rêves d'évasion. C'est d'ailleurs la plus proche. La distance qui nous en sépare n'égale pas dix fois le tour de notre globe – en somme, un saut de puce – et l'on peut escompter qu'un service d'été desservira un jour cette banlieue rafraîchissante.
L'air y manque, l'eau aussi, mais ses mers desséchés ont des noms si charmants qu'on ne saurait résister au désir d'aller, tout au moins, prendre des bains de soleil sur leurs plages peu fréquentées. Quel repos pour un Parisien de planter sa tente au bord de la Mer de la Tranquillité !

Quant aux visites aux autres planètes, il y faudra plus de temps. Elles vaudraient pourtant le voyage. On y verrait Mercure, où il fait toujours nuit dans un hémisphère et jour dans l'autre ; Vénus, où l'on peut boire et où les alpinistes trouveraient des montagnes de cent mille mètres d'altitude à escalader ; Mars, cette terre d'outre-ciel, avec ses canaux et ses habitants méprisants qui dédaignent de nous répondre depuis si longtemps que nous leur envoyons message sur message ; Saturne, un monde à lui tout seul, avec ses tourbillons de lunes ; Jupiter, plus d'un million de fois plus gros que notre planète, pays de nuages et de soleil, où le vent souffle à 360 kilomètres à l'heure (départ et arrivée chronométrés par Herschell).
Néanmoins, ce sont là encore des régions assez voisines, puisqu'après tout, les planètes gravitent autour de leur père le Soleil, ne forment qu'une petite famille isolée dans les cieux. Les difficultés surgiront le jour où l'on voudra aller encore plus loin, et, comme dit Jean Richepin : « appareiller pour les étoiles ». En effet, un vertigineux abîme s'interpose entre le système solaire et l'étoile la plus proche dont la lumière met plus de quatre années à nous parvenir, au train de trois cent mille kilomètres à la seconde.
Qu'il serait beau pourtant de naviguer dans le vide, donc à l'abri des courants d'air, à travers les constellations ! Les vieilles cartes du ciel nous serviraient de guides. Nous irions revoir , là-haut, les bêtes fabuleuses qui ont émigré de nos bois, comme l'Hydre et la Licorne ; des héros exilés comme Castor et Pollux ; des animaux en voie de disparition comme la Baleine, et des personnages désormais proscrits de la cité, comme le Cocher…

Qui sait même si, dans ces profondeurs, nous ne rencontrions pas quelque monde perdu où les hommes vivent sans téléphone, sans bruit de moteurs, sans terme à payer et, par surcroît, s'aiment entre eux ? Mais le jour où cela se saurait sur la terre, les compagnies d'avions-fusées, voyant leurs voyageurs ne plus demander d'aller et retour, démentiraient la nouvelle, de peur que leur clientèle ne s'échappe à jamais.

Jean Galotti, « Tourisme interastral ou le voyage de demain », in VU, n°26, 12 septembre 1928

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