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ISSN 2496-9346

mardi 14 juin 2011

Dr Hubert Legrand, "Les rayons humains" ( rayons N ) (1904)

Il fut une époque où l'on s'enthousiasmait pour des rayons de toute nature. En 1895, Wilhem Röntgen découvre les rayons X, l'année suivante Henri Becquerel la radioactivité, en 1898 Pierre et Marie Curie le polonium puis le radium... la course aux rayons ne s'arrête plus mais voici que le professeur Blondlot découvre les rayons N! je vous laisse le soin de vous référer à la page Wikipédia consacrée à ces fabuleux rayons N qui ne révèlent qu'un rêve. Je me suis amusé à aller chercher une description de ces rayons dans un périodique qui n'a rien d'une obscure publication universitaire à caractère scientifique car il s'agit de La Jeune mère ou l'éducation du premier âge. Journal illustré de l'enfance n° 455 de 1904. Presque aussitôt Robert W. Wood montrera que les rayons N résultent d'une erreur expérimentale dans un article publié dans Nature en septembre 1904.
 On peut imaginer nombre d'uchronies basées sur des principes "scientifiques" admis à une époque avant d'être rejetés. Greg Bear le fait par exemple dans Héritage en utilisant les théories de Lamarck pour décrire le monde de Lamarckia...
Et si... les rayons N avaient vraiment été découverts, quel serait notre monde?





Si nous en parlions un peu, nous aussi, de ces extraordinaires rayons N, qui sont en train de bouleverser la science, et qui laissent entrevoir des horizons inexplorés jusqu'ici. Ce n'est pas, il est vrai, un sujet qui concerne l'hygiène infantile. Mais on en parle tant en ce moment, et les phénomènes observés sont si bizarres, que cela vaut bien la peine qu'on s'en occupe.

Les rayons N ont été découverts par M. Blondlot, professeur à l'Université de Nancy, qui leur a donné ce nom en souvenir de cette ville. Toutes les sources lumineuses les émettent, à côté de la lumière et de la chaleur que nous connaissions déjà. Ce qui les caractérise, c'est que, comme les rayons X, ils traversent les corps opaques; mais, contrairement à ceux-ci, ils n'impressionnent pas les plaques photographiques.
D'autre part, ils sont arrêtés par certaines substances, comme une lame de plomb par exemple, ou encore l'eau, l'eau pure; c'est ainsi qu'une simple feuille de papier à cigarettes qui, sèche, est traversée par eux, ne les laisse plus passer, dès qu'elle est mouillée. Mais, chose plus curieuse, si l'eau est salée, les rayons la traversent.
Leur principale propriété, celle en somme qui permet de les déceler, est d'aviver l'éclat des corps phosphorescents. C'est ainsi qu'un écran enduit de sulfure de calcium, substance qui, après avoir été exposée au jour, luit dans l'obscurité, devient plus lumineux quand les radiations le rencontrent.
Quelles sont donc les sources de ces rayons bizarres? Oh! elles sont très nombreuses. En effet, le soleil transmet sa propriété de les émettre à tous les corps qu'il frappe; les plus humbles cailloux, les pierres des routes n'en sont pas dépourvus. Ce sont aussi les substances qui ont été travaillées, comprimées, tordues : une lame de couteau, par exemple, ou un morceau de fer forgé. Jusqu'ici, ces phénomènes sont déjà assez curieux; mais nous allons entrer dans l'extraordinaire. Voici que M. Charpentier, professeur, comme M. Blondlot, à l'Université de Nancy, a découvert que le corps humain émettait, lui aussi, des rayons N. Oui, parfaitement, le corps humain rayonne, tout comme un petit soleil. Quelle gloire pour nous, n'est-ce pas!
Et c'est au propre qu'il faut prendre le mot, et non plus, comme nous faisions parfois, au figuré, en parlant de quelqu'un rempli de joie. 11 n'est pas nécessaire d'être heureux pour émettre des radiations; il suffit d'être en activité.
Ce sont en effet les parties qui fonctionnent, les organes en travail, qui dégagent des rayons N. On le reconnaît en approchant du corps un tube renfermant un petit carton enduit de platino-cyanure de baryum, substance phosphorescente dont la luminosité augmente en présence des radiations en question. Au voisinage d'un muscle qui se contracte, l'éclat du tube devient plus vif. Ce même éclat permet de suivre nettement le trajet des nerfs. Le cœur, qui bat continuellement, travaille sans cesse, décèle son emplacement et sa forme par une augmentation de l'intensité lumineuse.
Une expérience encore plus curieuse a été faite. Les travaux du siècle dernier ont permis de localiser la fonction du langage dans un territoire déterminé de notre cerveau, une de ces régions arrondies nommées circonvolutions. Celle-ci se trouve au niveau du front, et du côté gauche seulement; on l'appelle circonvolution de Broca, du nom du grand savant qui a fait cette découverte.

Eh bien ! si chez une personne en train de causer, on approche l'écran au platino-cyanure de baryum de l'endroit du crâne correspondant, on le voit devenir plus lumineux, tant que la parole dure, pour perdre son éclat dès qu'elle a cessé. Si l'on fait la même expérience de l'autre côté de la tête au point correspondant, rien ne se produit.
C'est là une démonstration parfaite et de l'émission des rayons N par une région du corps humain en activité, et de la certitude de la découverte de Broca.
De cette constatation, il est possible de tirer immédiatement des conclusions. Tout d'abord les radiations sont variables avec la vitalité, avec la vigueur même de l'individu. Il est clair que quelqu'un qui reste immobile, inactif, en émettra moins qu'un homme vigoureux, toujours en mouvement ou en travail intellectuel.
Mais le rayonnement émis est reçu par les personnes de l'entourage, et, comme il représente en somme de l'activité, il est utile d'en recevoir la plus grande quantité possible. Il y aurait par suite avantage à vivre en contact avec des gens forts et bien portants, susceptibles de nous donner plus que nous ne leur donnons nous-mêmes.
D'ailleurs ne savons-nous pas que l'état d'esprit de notre entourage réagit sur nous? Joie ou tristesse, activité ou apathie se communiquent. Influence du milieu, dira-t-on. Oui certes, mais peut-être influence non-seulement morale, mais, aussi d'ordre physique, explicable par les rayons N.
Poussant les choses plus loin, ne peut-on pas émettre l'hypothèse d'utiliser les radiations humaines, de les faire servir pour redonner de la force vitale à des êtres affaiblis? Ne connaît-on pas des histoires extraordinaires, merveilleuses, je le veux bien, de guérisseurs, de sorciers agissant par la seule puissance de leur volonté, et infusant une sorte de vie nouvelle aux moribonds? Ne pourrait-on pas trouver dans ces récentes découvertes une explication à ces faits incroyables? N'y aurait-il pas là quelque avenir thérapeutique, par exemple pour redonner un peu de vitalité aux nouveau-nés, dont l'existence est parfois si fragile?
Le champ des hypothèses que peuvent susciter les rayons humains est vaste. On a voulu déjà voir en eux le fluide des magnétiseurs, ce fluide que ceux-ci prétendent transmettre au loin, et qui émanerait d'eux.
On a voulu expliquer encore d'autres phénomènes touchant au spiritisme. Mais, à poursuivre cette voie on ne tarde pas à se perdre...
Les phénomènes constatés nettement sont déjà bien assez curieux par eux-mêmes pour qu'on puisse se contenter de les admirer comme une nouvelle conquête de l'esprit humain, et ne pas se perdre dans des rêveries sans consistance.

Dr Hubert LEGRAND

La Jeune mère ou l'éducation du premier âge. Journal illustré de l'enfance
 
n° 455 de 1904, p. 121-123



Je signale en passant qu'au Chat noir, célèbre cabaret, se joua une revue de J. Ferny et V. Tourtal ayant pour titre Le Radium de la Méduse! On s'y moquait de  M. et Mme Incurie  et de toute l'actualité du temps. C'était aussi en 1904...

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